jeudi 9 juillet 2009

La physiocratie

La physiocratie, étymologiquement : le gouvernement de la nature, est un courant de pensée économique préclassique qui s'est développé à partir du milieu du XVIIIe siècle. Emmené par François Quesnay et quelques uns de ses disciples tels que Mirabeau, Dupont de Nemours ou Turgot, le courant physiocrate est aussi un groupe influent militant pour des mesures de libéralisation, notamment concernant le commerce du blé.

Avant les physiocrates, l'analyse du marché tel que pouvait la faire les mercantilistes mettait l'accent sur les intérêts égoïstes des agents économiques et sur les dangers qu'ils pouvaient représenter pour l'Etat-nation. Avec François Quesnay, on a un glissement dans l'analyse : les intérêts égoïstes ne doivent pas être combattus par l'Etat, mais encadrés par lui de manière à ce que l'action des individus soit éclairée par la raison. Autrement dit, le marché concurrentiel est un meilleur moyen d'assurer le développement économique que le dirigisme étatique.

L'enjeu de la démonstration de Quesnay est de montrer que c'est seulement grâce au marché et à la liberté du commerce que l'on arrive à fixer le bon prix des biens échangés. Dans une situation d'autarcie, l'offre et la demande ne peuvent pas s'équilibrer. Cette situation entraîne une opposition d'intérêts entre le consommateur et le producteur : quand l'offre est abondante, les prix faibles vont à la faveur du consommateur, puisque le producteur ne peut pas exporter, et inversement si c'est la demande qui est forte : c'est le consommateur qui se trouve pénalisé. En revanche, dans une situation de liberté du commerce, la variation des prix à la baisse ou à la hausse diminue. Le bon prix fait converger les intérêts opposés des producteurs et des consommateurs, puisque tous deux ont avantage à ce que la récolte soit abondante : les consommateurs parce que les prix sont plus bas et les producteurs parce que leur recette est plus importante. Par conséquent, la liberté du commerce améliore la situation du producteur tout en favorisant celle du consommateur.

Le passage du mercantilisme à la physiocratie peut se comprendre comme un changement de conception des règles du jeu sur le plan international. D'un jeu à somme nulle, c'est-à-dire d'un jeu où la somme des gains de tous les joueurs est égale à 0 (ce que certains pays gagnent d'autres le perdent), on passe à un jeu à somme non nulle, c'est-à-dire à un jeu où certaines issues peuvent être profitables à tout le monde. Le cas du bon prix en est un bon exemple, puisque en favorisant une récolte abondante, il favorise aussi l'enrichissement de l'Etat par le biais de l'impôt.

Selon Quesnay, la création de richesse trouve son unique source dans le secteur agricole. Cela s'explique par le fait que seule l'activité agricole permet de dégager un produit net, c'est-à-dire la production diminuée des avances ayant permis la reconstitution de réserves assurant la subsistance des travailleurs. Par conséquent, il se prononce en faveur du reversement intégral de la richesse produite au propriétaire de la terre. En échange cependant, le propriétaire supporte seul l'impôt. Le fermier touchant un salaire indexé sur le marché du travail, en est exonéré. Cette proposition est audacieuse puisque rappelons qu'à l'époque les nobles étaient bien souvent bénéficiaires de privilèges fiscaux.

Quesnay s'est également rendu célèbre par une représentation globale en tableau du circuit économique, dont le principal intérêt est de montrer l'interdépendance qu'il existe entre les grandeurs économiques (production, dépenses, prix, revenus, capitaux). Elle analyse la société en la décomposant en trois classes : la classe productive, la classe des propriétaires et la classe stérile. La classe productive désigne les travailleurs de la terre qui non seulement produisent les biens nécessaires à leur propre consommation, mais également ceux nécessaires à la consommation des deux autres classes. La classe des propriétaires désigne ceux qui prélèvent une partie des richesses créées. La classe stérile est la classe des artisans qui travaillent mais qui ne produisent pas de richesses. Entre ces trois classes, la richesse circule comme le sang dans le corps humain.

Le principal intérêt de ce tableau est de fournir une connaissance des richesses de la nation et de la puissance de l'Etat. Elle permet au souverain de déterminer l'impact de ses décisions en matière de politique économique. On retrouve chez les physiocrates le même goût pour le calcul et pour la rationalisation de l'Etat que chez les mercantilistes.

L'une des principales cibles de la critique physiocrate est le colbertisme et sa politique interventionniste en faveur du commerce et de l'industrie. Quesnay dénonce avant Smith le « système des commerçants » : c'est-à-dire la politique économique orientée en faveur des intérêts particuliers des commerçants, mais pas pour l'ensemble de la population. En établissement des monopoles destinés à favoriser les commerçants nationaux, le mécanisme naturel du marché permettant de fixer le bon prix ne peut pas fonctionner.

Le naturalisme des physiocrates est un élément fondamental pour comprendre leurs analyses. Rappelons que Quesnay est l'auteur de l'article « Droit naturel » de l'Encyclopédie. L'économie politique a pour objectif de découvrir les lois positives correspondant à l'ordre naturel. La légitimité du corps politique est donc assise sur la connaissance de cet ordre naturel. Partant du principe qu'il en va de l'intérêt du souverain de suivre cet ordre, Quesnay établit une doctrine connue sous le nom de despotisme légal et qui vise à encadrer une autorité souveraine de manière à ce qu'elle respecte les lois dictées par l'ordre naturel. C'est en ce sens que les physiocrates militent en faveur d'un « laissez-faire », c'est-à-dire d'une intervention du politique dans l'économie à la seule condition qu'il assure le fonctionnement naturel du mécanisme de marché.

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