samedi 13 juin 2009

Le principe de la demande effective

C'est dans la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (I, 3) que John Maynard Keynes (1883-1946) présente son principe de la demande effective. Ce principe a pour objet de montrer comment les entrepreneurs, au moyen d'anticipations, fixent le niveau d'emploi et de l'activité économique. La demande effective est définie par Keynes comme « le montant du ''produit'' attendu D au point de la courbe de la demande globale où elle est coupée par celle de l'offre globale » (Keynes, Théorie générale, Payot, p. 52-53).

Le produit (aussi appelé le revenu global) désigne le revenu résultant de l'utilisation d'un certain volume d'emploi. Il comprend donc le coût de facteur de l'emploi (c'est-à-dire le prix de l'ensemble de la quantité de travail utilisée : salaires, charges, impôts) et les profits des entrepreneurs. Ajoutons qu'à un autre endroit de la Théorie Générale, Keynes donne comme définition de la demande effective : « le revenu global (ou le "produit"), y compris les revenus distribués aux autres facteurs de production, que les entrepreneurs espèrent tirer du volume d'emploi courant qu'ils décident de donner » (II, 6).

En d'autres termes, l'enjeu du principe de la demande effective est de montrer que le niveau d'emploi dépend du niveau des profits que les entrepreneurs espèrent réaliser avec leur production : « dans un état donné de la technique, des ressources et du coût de facteur par unité d'emploi, le volume de l'emploi, aussi bien dans les entreprises et industries individuelles que dans l'ensemble de l'industrie, est gouverné par le montant du ''produit'' que les entrepreneurs espèrent tirer du volume de production qui lui correspond » (Théorie Générale, p. 51). Cette dépendance est valable pour des périodes courtes (tant que le salaire nominal et les taux d'intérêt sont constants) et au niveau microéconomique comme au niveau macroéconomique.

Ces précisions étant faites, il est possible d'énoncer le principe de la demande effective tel que Keynes le formule : « soit Z le prix de l'offre globale du volume de production qui correspond à l'emploi de N personnes ; la relation entre Z et N, que nous appellerons la Fonction ou Courbe de l'Offre Globale, étant représentée par Z = φ(N). De même, soit D le ''produit'' que les entrepreneurs espèrent tirer de l'emploi de N personnes ; la relation entre D et N, que nous appellerons la Fonction ou Courbe de la Demande Globale, étant représentée par D = ƒ(N). Ceci étant, si pour un certain volume de l'emploi N le "produit" attendu est supérieur au prix de l'offre globale, c'est-à-dire si D est supérieur à Z, il y aura un mobile qui incitera les entrepreneurs à accroître l'emploi et, s'il le faut, à élever les coûts en se disputant les uns aux autres les facteurs de production, jusqu'à ce que l'emploi ait atteint le volume qui rétablit l'égalité entre Z et D. Ainsi le volume de l'emploi est déterminé par le point d'intersection de la courbe de la demande globale et de la courbe de l'offre globale ; car c'est à ce point que la prévision de profit des entrepreneurs est maximum. Nous appellerons demande effective le montant du "produit" attendu D au point de la courbe de la demande globale où elle est coupée par celle de l'offre globale. Ceci constitue l'essentiel de la Théorie Générale de l'Emploi que nous nous proposons d'exposer. »


Contrairement aux théories classiques selon lesquelles les volumes de la production et de l'emploi sont déterminés par le fonctionnement du marché, dans la théorie keynésienne, ce sont les entrepreneurs et leurs anticipations de débouchés qui déterminent les volumes de production et d'emploi. A chaque niveau d'emploi N, les entrepreneurs anticipent un niveau de demande D. Ce niveau de demande peut s'interpréter comme un prix de demande globale qui correspond au prix que les consommateurs, selon les anticipations des entrepreneurs, accepteront de payer pour une production résultant du niveau d'emploi N. De même, Z peut s'interpréter comme un prix d'offre, c'est-à-dire le montant que les entrepreneurs espèrent pouvoir obtenir en offrant Z au moyen d'un niveau d'emploi N.

Tant que pour chaque niveau N, il existe du point de vue des entrepreneurs, une différence positive entre la demande anticipée (D) et l'offre anticipée (Z), ils auront intérêt à augmenter le niveau d'emploi (N). Mais à partir du seuil de la demande effective, point où la demande globale (D*) rencontre l'offre globale (Z*), la tendance s'inverse.

A partir de ce principe de la demande effective, il est possible de faire deux remarques. Tout d'abord, le niveau d'emploi et le revenu national sont déterminés par les entrepreneurs dont les anticipations ne sont pas parfaitement rationnelles. Keynes parle des « esprits animaux » guidant les comportements des entrepreneurs. Cela permet de rendre possible ce que ne pouvait pas analyser les économistes classiques, à savoir l'existence d'un chômage involontaire. Ce chômage involontaire résulte des anticipations des entrepreneurs qui peuvent être ex post fausses ou n'ayant pas pour objectif le plein emploi. Ensuite, ce principe de la demande effective constitue le fondement théorique des politiques de relance de l'activité économique par la demande. En effet, l'augmentation des dépenses publiques ou la réduction des taxes, c'est-à-dire ce qui correspond à une politique économique interventionniste, a pour finalité d'augmenter le revenu des agents, donc par conséquent, d'engager les entrepreneurs à anticiper des niveaux de demande effective qui soient plus élevés afin qu'ils mettent en œuvre des niveaux d'offre et d'emploi également plus élevés.

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